Caroline Bachmann est peintre. Elle travaille à l’huile sur toile des sujets figuratifs qui se déclinent en paysages, portraits et natures mortes. Et pourtant, ses œuvres sont éminemment contemporaines. Ce n’est donc pas du côté des catégories techniques ou thématiques qu’il faut aller chercher son ancrage dans notre temps, mais dans le décalage qu’elle instaure entre la réalité et l’image. S'il est incontestable que l’histoire de l’art l'inspire, elle la revisite et la réactive de manière très personnelle, s’intéressant tout particulièrement aux Primitifs de la Renaissance italienne et aux représentants suisses de l’art nouveau. Dans un tout autre registre, elle regarde également du côté de la bande dessinée et du dessin animé. De sa formation initiale de graphiste, elle a gardé le goût des formes simplifiées et immédiatement signifiantes, ainsi que l’habitude de porter son attention sur le processus de fabrication de l’image. Un autre élément biographique est déterminant dans son parcours: la fondation, en 2010, avec Stefan Banz, de la Kunsthalle Marcel Duchamp, le plus petit musée au monde, qui présente des expositions miniatures d’artistes de toutes générations et de toutes provenances, situé sur son lieu de vie, au bord du lac Léman. En découvrant l’intérêt de Marcel Duchamp pour les peintres figuratifs américains, Caroline Bachmann entreprend de faire le portrait de certains d’entre eux, dont celui de Louis Michel Eilshemius, à l’instar duquel elle adoptera l’usage du cadre peint. Elle poursuit ensuite la pratique du portrait en s’attelant à représenter les femmes artistes qui l’entourent.
Quel que soit le sujet, elle procède par séries, écartant les sources photographiques pour privilégier les dessins préparatoires et le travail de mémoire. Cette expérimentation de la répétition n’a pas chez elle vocation de traduire des impressions fugitives, mais à l’inverse, toile après toile, dans une élaboration lente et patiente, de parvenir à des synthèses stables et épurées dans des couleurs réinventées. 

Depuis des années, l’artiste peint inlassablement le même paysage, qui est celui qu’elle observe de chez elle, à Cully, où elle vit depuis l’enfance: le panorama du lac Léman et des hautes montagnes qui le bordent. Ce paysage, elle le dessine de nuit ou à l’aurore, notant des lumières, des couleurs, des mouvements dans le ciel ou sur l’eau, attentive aux conditions météorologiques, aux nuages, au brouillard. Elle passe ensuite à la peinture, dans un format invariablement carré, recomposant ses observations à l’aide de ses croquis et du souvenir de ses impressions. Les titres énoncent et croisent des éléments atmosphériques et plastiques, comme l'indiquent ceux des trois peintures de la collection : Lune lac gris avec cadre, Lune nuages oranges avec cadre, Nuage cercle avec cadre. Le cadre peint dans le tableau, décoratif et extravagant, de forme et de couleur jamais identiques, est un des éléments très singulier de sa peinture. Il affirme la nature conceptuelle de ses images, dont l'aspect méditatif résulte de tout un processus de décantation durant lequel le temps se fige. (DD-2021)