Franz Gertsch est de ces artistes qui se fixent des protocoles de travail et s'y tiennent des années durant. Ainsi, en 1969, il décide que sa peinture aura pour modèle la réalité objective que lui fournit l’appareil photographique. Dès lors ses sources seront soit des prises de vue personnelles de son entourage, soit des images trouvées dans des magazines. Une fois la photographie source sélectionnée, il en tirera une diapositive qu'il projettera sur une toile blanche de très grand format pour ensuite la peindre. En 1986 commence un nouveau chapitre de son œuvre, celui de la xylogravure, procédé de gravure en taille d'épargne sur plaque de bois. Gertsch la pratique en faisant usage de la technique du piquage, qui consiste à darder la plaque de minuscules incisions. Pour se guider de proche en proche sur la plaque de bois, l'artiste y projette une diapositive, comme il le faisait pour ses peintures, mais ici par intermittences seulement. Une fois l'atelier à nouveau éclairé, il pique alors le bois selon ce qu'il a mémorisé de l’image projetée, exercice d'intense concentration. Ce procédé exigeant nécessite plusieurs mois de travail par plaque. L'exception de la démarche se poursuit au moment du tirage. La grandeur des bois amène à leur impression sur d’immenses feuilles de papier japon spécialement confectionnées par un maître de Kyoto, Iwano Heizaburo. Le processus d'impression est lui aussi long et méticuleux, réalisé à la main par plusieurs personnes à la fois qui doivent parfaitement coordonner leur pression. Au tirage, les incisions échappent à l'encrage et se traduisent sur le papier par d'infimes réserves blanches. Ce réseau de points plus ou moins dense fait apparaître le motif par soustraction de matière et produit le modelé sans qu'aucun tracé linéaire n'intervienne. 

Gräser «Ausblick» montre particulièrement bien qu'en usant d'un procédé aussi ancestral que celui de la xylogravure, Franz Gertsch parvient à produire des images étonnamment contemporaines. Il réactualise la technique ancienne par l'emploi d'une monochromie extrêmement délicate, obtenue grâce à des teintes subtiles de pigments végétaux ou minéraux, et par des formats inusité dans la tradition de la gravure. Ici, l'hyperréalisme qui caractérise les peintures de l'artiste a totalement disparu : ce n'est qu'au prix d'un effort de l'œil et à une certaine distance que le motif apparaît. Le changement d'échelle produit simultanément par la grande taille du format et par le gros plan, nous immerge dans un rapport subjuguant à la réalité, qui perd sa familiarité pour devenir iconique. (DD-2015)