Comme un peintre-architecte démiurge, Thomas Huber porte autour de lui un regard inventif et précis qui semble spontanément générer un monde en miroir, qu’il imagine, dessine et recompose selon une implacable logique de prolongements spatiaux, dédoublements, superpositions, renversements… Le tableau, fenêtre ouverte sur ce nouvel espace labyrinthique soigneusement planifié, véritable piège visuel plein de chausse-trappes et de faux-semblants, happe l’attention dans un dédale de mises en abyme. Le spectateur ravi s’y promène d’une perspective à l’autre, bute contre un mur inattendu, mais replonge dans les images qui s’y trouvent, devine l’espace derrière une porte ouverte, change d’échelle et se perd avec délices comme une Alice vagabonde. La mise en scène des œuvres dans l’espace du musée accentue encore le trouble, puisque le mur réel mime les couleurs du mur représenté sur la toile ; puisque la vitrine figurée dans le tableau se matérialise dans la salle d’exposition ; puisque l’artiste raconte dans une conférence filmée l’histoire de son alter ego envahi par sa propre production dans un atelier trop plein, qui a dû, pour y faire de la place, creuser profondément l’image pour y installer ses étagères et ses œuvres trop encombrantes, qu’on reconnaît d’ailleurs bien dans la toile présentée… D’une œuvre à l’autre, comme autour des œuvres et du spectateur, l’artiste tisse ainsi toute une trame de liens visuels et narratifs, passant du réel à la fiction et retour, entraînant le regard et l’imagination dans une enquête complice, décryptant le décor et les personnages d’une histoire encore et toujours en train de s’écrire, celle de l’œuvre en train de se faire, de se dire et de se lire. 

Une trouée à Plainpalais, est le projet pour un immense panneau installé sur la Plaine de Plainpalais pendant la dernière exposition monographique de Thomas Huber au MAMCO, au titre-apostrophe Vous êtes ici. A cette occasion, l’artiste a investi l’espace public de plusieurs œuvres monumentales, sous forme de panneaux de chantier où des vues identifiables de la ville, installées sur le lieu même du point de vue représenté, se muent en visions utopiques. La ville devient ainsi le théâtre d’un scénario urbain imaginaire, dans lequel le spectateur doit se situer, ici et maintenant, tandis qu’ailleurs, l’artiste annonce opportunément « Vous êtes ici…et Thomas Huber est au Mamco ». Sur Plainpalais, l’artiste a montré un panorama très fidèle de la Plaine, où une profonde excavation redouble la silhouette en losange typique de l’esplanade, tandis que d’imposants monticules permettent d’évaluer la masse considérable de terre déblayée, et donc la stupéfiante énormité du trou. La fiction ainsi clairement proposée et située a suffisamment interpelé le public genevois pour que certains manifestent alors leur crainte de voir la Plaine mutilée par ce gigantesque et incompréhensible chantier. Le piège a fait son office, à l’échelle de la ville. (ABLB-2013)